En direct d' Amérique Latine

Voyage en Bolivie et au Chili, archives du 18/03/05 au 31/03/05

Bonne lecture!




  • 06/04/2005

    Le lac Titicaca

    Apres le Baikal en 2003, presque a l'oppose du globe, et plus de 3000 m plus haut, il m'a ete donnee l'occasion de voir, de humer, d'admirer, et de toucher le lac Titicaca, autre lac sacre parmis les montagnes. Sur Isla del Sol, point d'ou seraient nes les Incas, j'y ai fait de belles rencontres, y ai mange de delicieux poissons et ai goute a des vins aux saveurs nouvelles. Cette ile bretonne a l'air rarefie est peu commune, sauvage a tous points de vue, et vaut, une fois encore, un fameux detour.

    Le choc en arrivant a La Paz, sacre chaos au milieu des montagnes, fut important.

    Une fois encore, je cede la parole aux images.


  • 06/04/2005

    Radio Mallku, une conscience politique a travers l'espace

    mercredi 23 mars 2005, Uyuni, province de Potosi, Bolivie
    Je suis recu par Freddy Mamani (FM), le president directeur (PD) de la fondation Radio Mallku (RM). Un homme assez petit, aux yeux dont la clarte ressort d'autant plus que la peau du visage est burinee et sombre. Vetu d'habits de travailleur de la terre, sales et uses. A premiere vue, on ne s'imaginerait pas que cet homme est le leader de radio Mallku, une radio paysanne cummunautaire (PC).
    Freddy me presente plus en details radio Mallku. Mallku, en quechua, signifie a la fois cacique et condor. Toute la region du sud Lipiez, dans la province de Potosi (PO), de part sa geologie, regorge de ressources naturelles, dont beaucoup de lithium (Li), de borax (ne me demandez pas le symbole chimique de ce dernier, je ne l'ai jamais su) et de sel (Se). L'eau minerale (Om) souterraine est egalement une ressource cle, malgre les apparences de la surface, bien desertique.
    Comme la province de Santa Cruz (SC), plus au Nord (N), qui produit des quantites phenomenales de gaz (Gz), les ressources sont exploitees et sorties du pays sans impots par des compagnies etrangeres (PD). Dans le cas de cette province, les ressources partent principalement au Chili (cl) sans retombees financieres, sociales ou economiques sur la region. Un vol caracterise.
    La vocation de radio Mallku est d'informer les indiens de toute la region des evenements lies a cette spoliation ou a d'autres spoliations (car il y en a d'autres, comme leurs terres). Ces evenements peuvent etre des nouvelles informations liees aux actions des entreprises ou du gouvernement, les prochaines dates de greves ou de blocus routiers, comment faire pour lutter efficacement, qui est responsable de quel mefait, etc... La radio diffuse egalement des musiques traditionnelles de chaque parties de la province de Potosi, et tente de preserver le dialecte derive du quechua qui se parle ici. Action syndicale vient donc avec action culturelle.
    Cette radio emet 16h/24, sur onde courte (LW) 60 m, frequence 4795. Grace a elle, par dela l'espace desole et sale du salaar d'Uyuni, les indiens ont la conscience collective d'un peuple en lutte pour ses terres, ses ressources, sa culture, sa langue, connectes en permanence sur un media facile d'acces et bon marche.


  • 06/04/2005

    Le Salaar d'Uyuni, cinquieme grand jalon

    Souvenez vous de la page presentant le projet:
    Teotihuacan, Palenque, le Canal de Panama, Nazca...
    Il restait donc le Salaar d'Uyuni et Ushuaia.
    La question etait:


    Ce vaste espace (de la taille d'un département français) est totalement plat et sans point de repère. On s'y déplace en véhicule en gardant un cap à la boussole. Comment font les locaux pour s'orienter? Comment se représentent-ils cet espace si inhabituel?



    Alors, je voudrais preciser, maintenant que ce site incontournable a ete visite, que:
    - C'est magnifique.
    - C'est une usine a touristes. Et un tourisme non regule, a savoir totalement sauvage, dans le sens negatif du terme.
    - On n'y navigue pas a la boussole, tout du moins dans les 4x4 utilises par les agences locales: les chauffeurs, des locaux aussi, connaissent parfaitement le desert de sel et n'utilisent aucun instrument de navigation.

    Quant a la perception que les habitants ont de cet espace singulier, elle se resume, d'apres ce que j'ai pu voir, a un espace: - hostile mais riche en ressources dans lequel il faut aller travailler pour gagner sa croute (de sel)
    - syndicalise par radio Mallku (v. message precedent)
    - plat et entoures de hautes montagnes depassant sur l'horizon

    Au milieu de cette mer de sel, une ile. L'Ile du Pecheur. Sur cette ile, des cactus geants, millenaires, et par milliers. Les plus vieux mesurent plus de dix metres, le plus haut est age de plus de 2000 ans. C'est beau, insolite, impressionnant, piquant. Et l'air est toujours aussi cher (car rare) dans toute cette partie du monde. Le desert est environ a 3700 m d'altitude. Grace aux effets conjugues du sel tout blanc, du climat, et de cette altitude, le ciel est d'une couleur absolument unique, qui relegue le ciel de Grece en ete au rang de ciel terne, gris, bas, et pluvieux digne d'un 11 novembre a Paris.

    Au sud de ce desert de sel, un desert de rien s'etend jusqu'au Chili, jusqu'a son collegue d'Atacama, sur plusieurs jours de 4x4 de distance. Ce desert est ponctue de hautes montagnes enneigees, de volcans, de geysers, de lacs sales peuples de colonnies de flamands roses, d'autres deserts de sel plus petits, de sources thermales, et de formations geologiques daliennes qui font penser que le celebre peintre catalan s'y serait rendu pour y trouver cette inspiration absolument geniale qui caracterise certains de ses tableaux, tant par les formes improbables que par les nuances d'ocres.

    Les paysages de toute cette partie de l'Altiplano andin, de part le caractere grandiose et a la fois la douceur de leur nudite sensuelle furent les plus beaux du voyage (jusqu'a present) et n'ont certainement pas d'egal dans leur categorie.

    - Photos du Salaar d'Uyuni

    Le bleu de ces photos est reel. toute ressemblance avec l'irrealite est purement fortuite.


  • 06/04/2005

    Le desert d'Atacama et la mine de cuivre de Chuquicamata

    Le premier qui m'a vraiment donne envie de voir un jour le desert d'Atacama fut Luís Sepulveda grace a son magnifique recueil de poesies "Les roses de l'Atacama".

    Arrive au Chili par le sud du sud de la Bolivie, apres ce tour dans le Sud Lipiez, le choc culturel est fort, d'autant plus que je debarque a San Pedro Atacama, oasis de verdure et de touristes au milieu du desert. Internet a presque 2$, camping a 3.5$, le boui-boui le moins cher a 2$, etc... Je sens que je vais renouer avec le stop et mon hamac. Apres le Perou et la Bolivie, et plus globalement apres que j'ai laisse le Mexique en fin aout 2004, j'avais un peu perdu mes reperes... Par ailleurs, tout est propre partout dans les rues (a partir de 8h du matin, une fois que les degats des chiens errants eparpillant les poubelles durant la nuit ont ete caches), les voitures sont pimpantes, les maisons mignonettes. Les affres de ce choc de civilisation passes, je me plais somme toute bien dans cet endroit ou j'arrive a faire mon trou et a rencontrer des gens tres charmants, dont un italien avec qui nous partons faire une tres grande promenade en velo de montagne dans les reseaux hautement ramifies des canyons environnants. Nous nous posons dans la Vallee de la Lune le soir de la pleine lune pour la voir se lever. Nous rentrons, le dos et le coxcis ruines, sous le plein phare de l'astre tout rond et bienvellant, dans un decor nocturne... lunaire.

    Autre rencontre sympatique, un argentin chanteur et musicien de Buenos Aires, absolument charmant, qui m'attend desormais chez lui pour que j'y vienne passer quelques jours et qu'il me montre sa ville. J'irai certainement.

    Je renoue donc avec le stop, et me dirige vers Calama, la grande ville la plus proche, a 100 km a vol d'oiseau, et a 101 km par la route (ici, les routes sinuent peu). De la, re-stop, pour aller visiter la plus grande mine de cuivre a ciel ouvert du monde, la mine de Chuquicamata. La visite est courte mais aussi impressionnante que passionnante. A voir cet enorme trou beant dans la Terre, cette plaie supurant l'acide sulfurique et les vapeurs de soufre, la premiere question qui vient a l'esprit est: "est-ce bien raisonnable?", puis "a-t-on besoin de tout ce cuivre?" puis "et d'ailleurs, a quoi sert le cuivre?". Evidemment, les applications sont aussi variees, que nombreuses, que necessaires. Mais desormais, quand j'acheterai un truc a base de cuivre, je saurai quel en est le prix ecologique de son extraction et de son traitement. Voici maintenant quelques chiffres, qui font peur:
    La mine produit chaque annee presque une megatonne de cuivre, soit 12% de la production mondiale, et environ 30% de la production chilienne (Le Chili produit a lui tout seul presque la moitie du cuivre mondial). L'extraction, malgre le cout exorbitant de la main d'oeuvre (1600$ en moyenne, tres bien payee et affluant de tout le Chili pour venir travailler ici, 7000 employes), d'exploitation (500 Mw.h de consommation electrique, et 14% de la consommation nationale de carburant, 83 camions de 330 ou 360 tonnes coutant chacun 3 millions de dollars, dont les six pneus de trois metres de diametre coutent 30 000 dollar piece, et qu'il faut changer tous les six mois), permet a la compagnie de degager chaque annee plus de 3 milliards de benefices. Pour une livre de cuivre vendue 1.54$, le cout total d'extraction est de 43 cents.

    La mine mesure 4.5 km de long, 3 de large et 850m de profondeur. Les 83 camions remontent 24h/24 la terre a la surface. Tout autour de la mine, de veritables montagnes artificelles ont vu le jour depuis l'ouverture du site il y a plus d'un siecle. Pour creuser ce trou, il a fallu deplacer toute la terre qui est a l'interieur, logique, non? Cours de college: volume d'un cone? Prenons un rayon moyen de 1.8 km, on a V = 1/3xpixR2xh = 2.88, soit presque 3 kilometres cubes. Rellement impressionant. Ces camions font donc des allees et venues incessantes, 24h/24 7j/7, dans un chaos apparent de trajectoires. Mais tout est controle par systeme GPS temps reel (suivi de flotte), et les 10 points critiques du reseau (croisements ou autres) sont passes en toute securite grace a ce systeme d'information. La base de donnees topographique est integree dans ce systeme, mais, du fait de ses continuelles modifications (extraction et mouvements sismiques), elle est actualisee toutes les deux semaines. Ici, l'espace est represente a nouveau par la technologie la plus avancee, finie la geantropie et ses idees de subjectivite. Lorsque des vies humaines sont en jeu, on revient a l'exhaustivite, l'objectivite et la fiabilite de l'information, devrait-elle meme en perdre toute poesie. Mais quelle poesie dans cette plaie? Il faut au moins un Neruda pour reussir a sortir du poetique de ce materiau hostile et de ce lieu infame. "J'ai vu le cuivre a Chuquicamata..." et je ne connais pas la suite. Les conditions sanitaires du lieu sont des plus defavorables, dixit un expert en environnemant mandate pour proposer une solution d'amelioration de la qualite de l'air au fond du gouffre, et qui a eu la bonte de me prendre en stop et de me conter tout ca, chose que je n'aurais jamais appris si j'avais voyage en bus.

    Le lendemain, retour en stop a San Pedro Atacama, et tentative de stop pour aller jusqu'en Argentine. Ce fut le debut d'une autre aventure, a suivre...

    - Photos du desert d'Atacama et de la mine de cuivre de Chuquicamata


  • 13/04/2005

    Pour la route

    Comme promis, voici le récit de mon périple en stop depuis Calama (mine de cuivre, souvenez-vous) jusqu’à Tucumán.



    Mardi 29 mars 2005, 7h00

    Une fois n’est pas coutume, le jour me réveille. Je me lève et me prépare rapidement. La veille, j’avais acheté des beignets sucrés pour ce matin. Je les petit-déjeune, ils ont un goût de sucre farineux. Je sors de l’hôtel. Je marche jusqu’à la rue qui mène à la sortie de la ville, vers San Pedro Atacama. Une première voiture, conduite par un ingénieur mécanicien, me prend et me dépose à la sortie de la ville, là où commence le rien et le silence de la Terre. Aujourd’hui, ce rien est tacheté de quelques chiens errants errant au loin, cherchant pitance dans les déchets que le vent rejette en dehors de la ville et que la végétation ne retient pas, faute d’exister. Quant au silence, il est remplacé par le vent, constant et froid. L’automne de fin mars est là, et bien là. Je suis dans le désert, mon ombre rétrécit à vue d’œil dans le petit matin, de moins en moins petit au fur et à mesure que mon ombre est de plus en plus petite, le soleil est déjà haut sur l’horizon, mais voilà, terrible constat, j’ai froid.

    La route s’en va droit vers l’orient devant moi, et disparaît dans l’infini géologique, vers San Pedro, puis l’Argentine, P. à Tucuman, et plus loin… Toujours plus loin…
    Je rêve. Ma rêverie est un voyage. Le Sahara est-il comme ce désert ? Oú irai-je après Tucuman ? Cela dépend de tellement de considérations. Lesdites me conduisent vers des rêves de plus en plus lointains. A part le vent, c’est le silence. Pas de voitures. Ou très peu. Le froid me rappelle à la réalité, ou bien ce sont les rares véhicules qui passent. Mais le temps passe, et pas un seul ne s’arrête. Soit ils me snobent, soit ils me font signe qu’ils tournent à la prochaine intersection. Je me demande bien laquelle, mais vu qu’ils me font presque tous le même signe de la main, et toujours vers la gauche, je finis par les croire.

    Le temps passe et je commence à douter de mon aventure « stop jusqu’en Argentine ». je n’ai pas encore atteint San Pedro, qui est à cent kilomètres, et ensuite, il restera plusieurs centaines de kilomètres pour traverser les deux cordillères. Il est neuf heures. Je suis sur ces doutes lorsque enfin, un pick up dernier cri s’arrête doucement. L’ensemble de ses occupants, pour ne pas échapper à la loi latino-américaine, est un homme seul. Comme toujours. Ou presque. En trente ou quarante véhicules m’ayant pris en stop dans ce voyage, ceux qui n’étaient pas conduits par des hommes seuls (plusieurs hommes, famille) se comptent sur les doigts de la main.

    L’homme seul et son pick up super luxe me déposent une heure et des poussières plus tard sur la place centrale de San Pedro Atacama, après une traversée du désert nuancée de mille ocres difficiles à peindre.

    Au village, il y a le dernier poste de douane avant la longue route jusqu’au Paso Jama, qui marque la frontière avec l’Argentine, et certainement, comme souvent les frontières dans les montagnes, la ligne de partage des zoos entre Pacifique et Atlantique. Pour le moment, cette frontière n’est qu’une vague notion, car :
    - a) elle est située à 160 km d’ici, et 2000 m plus haut (ici, on est très bas, 2500 m seulement)
    - b) elle ne comporte, paraît-il, pas de douane, ce poste est vraiment le dernier, c’est ici que les véhicules qui vont en Argentine doivent s’arrêter pour les paperasseries. C’est ici que je dois faire tamponner mon passeport, mais les douaniers ne veulent pas. Je dois d’abord avoir un véhicule, on en reparlera quand j’aurai trouvé quelqu’un pour m’emmener là bas.

    Soit. Je me poste sur un banc devant ce poste de douane. Les secrets de la burrocratie (burro veut dire âne en espagnol) sont impénétrables. L’attente reprend. Derrière, la route tourne à gauche, et monte vers les montagnes interminables par un trajet rectiligne, tant la pente est peu inclinée. Elle disparaît vers l’orient, l’Argentine, P. à Tucuman, et plus loin... La chaleur enfin arrivée fait des vibrations au dessus de l’asphalte.

    A part cette chaleur, rien d’autre ne perturbe le lieu. Un vieil argentin attendant comme moi un véhicule, posté là depuis ce matin, et venu intégralement en stop depuis Buenos Aires via Ushuaïa jusqu’ici, au Nord du Chili, discute de sa voix erraillée avec un des douaniers. Un des chiens douaniers joue avec un douanier. Rien de plus.

    Un camion démarre et s’enfonce vers la route qui monte vers la montagne. Je ne l’avais pas vu, il était derrière le bâtiment. Il est suivi par deux autres camions identiques. Tous des camions citernes, transportant d’importantes réserves d’acide sulfurique, vers la Bolivie. On se demande bien pourquoi !!! Et personne ne dit rien, tout le monde laisse faire, même la DEA (Drug Enforcement Administration), alors que dans cette région, tout le monde sait à quel moment du processus intervient cet acide puissant mélangé aux feuilles de coca dans des bassins de décantation que n’importe quel satellite normalement constitué, de nos jours, est capable d’identifier… Mais passons, le sujet ne porte pas sur l’économie principale et pourtant parallèle de la province bolivienne de Santa Cruz. Ce qui est sûr, c’est que ces camions montent vers la montagne, mais bifurquent vers la Bolivie, et donc, ne vont pas jusqu’à la frontière argentine, au Paso Jama. Et je me voyais mal voyager dans ce convoi « Retour du Salaire de la peur », version « narcotrafiquants ».

    Je sors mon bloc de dessins et entreprends d’en faire un tue-temps avec mes crayons. Un véhicule arrive enfin. C’est un autocar rempli jusqu’au toit de hollandais roulants, voire croulants. Leur manège bureaucratique et particulièrement bruyant durera plus d’une heure, à un mètre de mon banc, me bousculant parfois et me bouchant la vue, le temps que :
    - Je range mes crayons et mon bloc de dessins, ne pouvant dessiner dans ces conditions
    - Le chauffeur me fasse un super prix pour m’emmener à Salta, une grande ville d’Argentine, destination finale de cet autocar, située à quelques heures de Tucumán. La proposition est de 10 000 pesos, soit dans les 18 dollars, ce qui est objectivement peu. Mais à tout prendre, quitte à payer et à voyager en compagnie de ce groupe du cinquième age malgré tout encore suffisamment frais pour émettre de telles énergies sonores, je préférais les convoyeurs d’acide et la Bolivie.
    - Un autre autocar arrive
    - Je discute avec le vieil argentin qui attend depuis ce matin

    Lorsque le premier autocar en a fini après plus d’une heure de paperasseries, il met les gaz et disparaît dans les vibrations de l’air au dessus de l’asphalte qui chauffe, là bas au loin, de plus en plus. Le second autocar peut alors ouvrir les vannes et déverser son propre flot de touristes. Une nouvelle queue se forme juste devant mon banc pour les formalités de sortie. Soudain, j’entends « Sergio ! ». Ce sont les deux argentins rencontrés au camping de San Pedro deux jours avant, dont l’un est chanteur-musicien-charmeur avec qui nous avions passés tous ensemble une excellente soirée au camping, à jouer de la guitare, à chanter, ou à écouter (chacun selon ses possibilités, hein…), en compagnie du propriétaire du camping, musicien et charmant aussi, et de l’italien avec qui j’ai vadrouillé en vélo. Déjà ce soir là, ils m’avaient laissé leurs coordonnées à Buenos Aires pour que j’aille chez eux et qu’ils me montrent leur ville. Ils réitèrent leur invitation avec insistance. Nous prenons quelques photos. Les deux amis rentrent à Buenos Aires, via Salta oú ils passeront quelques jours. C’est pour cela qu’ils sont dans cet autocar. Je discute avec la copilote du bus. Elle me propose une place à 20 000 pesos, soit 35 dollars. Je refuse poliment. Elle me dit aussi que ce car est le dernier à partir vers l’Argentine d’ici vendredi (nous sommes mardi), qu’il n’y a absolument rien entre ici et la frontière, pas mieux ensuite jusqu’au prochain village de l’autre côté, situé 100 km au-delà de la frontière, et portant le nom de Susque. Elle donne le coup de grâce en concluant que si je trouve un véhicule pour m’emmener jusqu’à Salta ou Jujuy, la première grande ville située de l’autre côté, c’est que j’ai beaucoup de chance. Et en effet, un pick up qui va en Argentine, la remorque vide, conduit par un couple de gringos, vient de me refuser le passage, prétextant qu’ils étaient pleins.

    Je laisse mes deux amis qui remontent dans le car reprendre leur place, et, affamé, retourne au centre ville en plein soleil avec toutes mes affaires pour me sustenter et me renseigner plus en détails sur les bus et les camions qui vont passer. Bien entendu, inutile de préciser que je ne crois pas un traître mot de ce que m’a dit cette femme pour me vendre un billet coûte que coûte. Je mange, puis fais le tour des compagnies de bus. Pour résumer, je découvre avec stupeur que la femme avait raison. Pas d’autres bus avant vendredi, pas d’autres compagnies, pas de bus jusqu’à la frontière seulement, pas de tarifs abordables, le stop s’avèrera maintenant la seule solution pour passer « rapidement ». J’en regretterais presque mes chers vieux hollandais bruyants pour seulement 10 000 pesos. Quant aux camions passants, personne n’a d’échos, pas même Umberto, le propriétaire-musicien-centre-d-informations du camping que je retourne voir pour l’occasion. Il m’indique juste le nom d’un chauffeur qui me prendrait sûrement s’il venait, par chance, à passer ces jours-ci. Je commence à douter sérieusement que je serai ce soir même en Argentine.

    L’unique chose à faire est de revenir à la douane et de patienter.

    Sur le chemin, dans le centre, je croise un groupe de jeunes argentins chargeant une vieille voiture américaine poussiéreuse et bleu ciel qui a de la gueule. Je vois qu’ils sont chargés, mais je discute avec eux. Ils partent aujourd’hui, en fin d’après midi vers l’Argentine, et sont même prêts à me prendre, disant qu’on s’arrangerait bien. Très sympathiques. Je leur en suis extrêmement reconnaissant, et nous convenons d’un rendez-vous à la douane lorsqu’ils y passeront, si toutefois j’y suis encore. En attendant, je prévois de continuer mes recherches, pour trouver un autre véhicule, moins chargé. Je me réinstalle sur le banc de la douane et repatiente.

    Un camion arrive et se gare. Le conducteur est un homme. Il descend. Je le salue et lui demande s’il va en Argentine. Il me répond sèchement : « oui, mais pas aujourd’hui. » Je vais me rasseoir. Un second camion arrive un peu plus tard. Le conducteur est encore un homme, décidément… Il finit par couper le moteur, puis met du temps à descendre. Je vois son profil, de loin, à travers la vitre teintée de son camion, et me dis : « ainsi, si c’est homme accepte ma demande, c’est avec lui que je vais passer beaucoup de temps jusqu’à Salta ou Jujuy ». Il est 14h30. L’homme ouvre la portière. Il descend et pause ses pieds bottés dans la poussière.
    « Buenas tardes. Vous allez en Argentine ?
    - Oui (visage fermé)
    - Aujourd’hui même ?
    - Oui (visage encore plus fermé)
    - Maintenant ?
    - Oui (toujours plus fermé)
    - Vous pourriez m’emmener ?
    - … (visage d’incompréhension). Et vous, quoi ?
    - On pourrait s’arranger (je devine un marchandage ardu)
    - Tu as des papiers ?
    - Oui, je n’ai qu’à faire tamponner mon passeport pour la sortie du pays.
    - Suis moi. »
    L’homme entre dans le bâtiment pour les paperasseries et je le suis. Son visage est fermé, dois-je le préciser. Je me sens un peu mal. Pendant que nous attendons derrière le guichet que les douaniers contrôlent son passeport, je lui demande jusqu’où il va. Il me répond « secreto ! » avec un visage verrouillé. Derniers coups de tampon. Il me demande : « where are you from ?
    - soy francés.
    - Ah ! Français ? S’exclame-t-il en français avec un visage éclairé. Vous habitez une maison ou un appartement ? »
    Œil pétillant de malice, léger sourire fier. Je lui demande s’il s’agit d’une phrase toute faite sortie d’une leçon de français. Il me dit que oui, que c’était son prof de français qui lui avait appris cette phrase, il y a un certain nombre d’années. La conversation continue, dégagée de toute tension. L’homme me testait, jouait la comédie, et s’avère charmant. Il demande aux douaniers de tamponner le passeport du français qui l’accompagne. Il me dit qu’il va jusqu’à Buenos Aires. Nous ne parlons pas de prix. Il voyage à vide. La seule chose qu’il me demande c’est si j’ai de la nourriture et de l’eau avec moi. Après quelques formalités supplémentaires relatives à son véhicule, nous nous dirigeons vers son camion. Un Volvo 380 ultra moderne, cabine tout confort et spacieuse, immense remorque vide dans laquelle mon sac à dos voyagera, ballotté de virage en virage dans la poussière qui jonche le sol. Il me fait remplir un gallon d’eau, vérifie les freins, fixe une plaque avec du fil de fer. Nous montons à bord, je me présente, et lui aussi. Marco. Enchanté. Enchanté. Contact. Il est presque 15 heures. Nous démarrons.

    Pendant les trois heures qui nous séparent du Paso Jama, donc de la frontière, nous discutons de mille choses. Nous faisons connaissance, le courant passe très bien. Nous parlons notamment d’aviation. C’est un passionné d’aviation. Au col, la route asphaltée disparaît au profit d’une piste nicaraguayenne. Le Chili est définitivement plus argenté, ces temps-ci, que l’Argentine. Un peu plus bas, c’est le poste de douane argentin. Il manque un tampon sur les documents du camion. Marco doit retourner à San Pedro, non ce n’est pas une blague. Le soleil disparaît derrière les montagnes, et il n’y a pas d’autre trafic. Je n’ai pas le choix, je dois suivre Marco. Certes, j’aurais mis les pieds en Argentine dès aujourd’hui, malgré mes doutes matinaux, mais quelques minutes seulement, il faut maintenant faire marche arrière sur presque trois heures de descente. Inutile de dire que Marco est en colère. Moi, cette histoire tellement abasourdissante me fait rire, je suis de bonne humeur, et parviens rapidement à détendre le pauvre Marco. La nuit tombe vite sur le chemin du retour. Nous arrivons tard à San Pedro Atacama. Nous réglons les formalités manquantes, mangeons dans un boui-boui mauvais et très cher, puis dormons dans le camion, qui est doté de deux couchettes. Ma première nuit dans un camion. On y dort très bien.

    Lendemain, mercredi 30 mars, levé 5h, départ 5h15. Nous refaisons la route jusqu’au Paso Jama, puis la douane argentine qui, cette fois, nous laisse passer. La piste défoncée continue sur 80 km, nous avançons à une vitesse de 20-30 km/h. Plus loin, c’est Susque, mon premier réel contact avec l’Argentine. Ce village est situé en plein sous le tropique millerien. Nous prenons une prof de maths en stop. Elle va jusqu’à Jujuy. Nous parlons tout le trajet de développements limités et de cuisine. Surtout de cuisine. Je deviens fou, et mon estomac devient dingue. Durant tout ce temps, le paysage passe progressivement, insensiblement, du désert altiplanien à la zone urbaine, humide, pluvieuse, grise de Jujuy. C’est laid, c’est une grande ville pleine de pluie. Il est déjà 16h30 lorsque nous en repartons, repus. Marco propose de me conduire jusqu’à Yerba Buena même, dans la banlieue de Tucumán où P. m’attend.

    Les heures qui suivent ne sont que luttes. Lutte de Marco pour trouver de l’essence, car il n’a pas assez de pesos argentins et cherche une station qui accepterait ses billets brésiliens. Lutte de moi pour appeler P. Lutte de Marco contre la fatigue. Lutte de moi pour trouver de l’argent. Le pompon revient à l’épisode de la police corrompue à l’entrée de la province de Tucumán, vers 21h. Contrôle des passeports par un flic dont la gueule ne me revient pas, et ce, dès que je l’aperçois. Pressentiment ? Toujours est-il qu’ils nous font descendre du camion, et nous interrogent séparément. Le flic veut me faire payer une amende parce qu’il manque une info sur le tampon d’entrée sur mon passeport. Il veut 50 pesos argentins (soit dans les 15 euros). Je refuse de payer. Il me harcèle de questions. Il commence à rédiger un procès verbal pour tenter de m’effrayer. Bouh j’ai peur ! Malgré Marco qui attend, revenu au camion, et P. qui m’attend aussi, et que je suis impatient de revoir, je suis prêt à passer la nuit là s’il le faut, mais il n’aura pas un pesos. En revanche, il aura des nouvelles de l’ambassade de France. Il doit lire dans mes pensées, car il s’arrête de lui-même d’écrire le procès verbal (il avait presque terminé la première ligne après dix minutes à taper sur l’antiquité qui lui servait de machine à écrire). Il regarde à nouveau mon passeport, voit les mots « Communauté Européenne » écrits dessus, et extrapole les conséquences. Il me le rend en me faisant la morale pour le principe, et me demande si je n’ai pas même seulement 10 petits pesos… Pathétique.

    Passons. Nous finissons par arriver à Tucumán vers 22h30. Nous ne trouvons pas Yerba Buena, et c’est impossible de s’y rendre avec un tel engin. Nous nous garons sur une aire de service géante. Marco prévoit de rester dormir là, et moi, j’arrive enfin à joindre la grand-mère de P. qui me dit de venir. J’appelle un taxi. Séparation d’avec Marco. Taxi. Le chauffeur est très sympa. Nous parlons encore beaucoup. Le financement de mon voyage l’intrigue au plus haut point. Il finit par me déposer au pied même de la maison de la grand-mère. Je monte, présentations. P. arrive un peu plus tard à son tour. Retrouvailles. Fin de l’expédition. Fin du périple Mexico –Tucumán. Une fin en apothéose, grâce à Marco et à toutes ces aventures.


  • 22/04/2005

    Salé, sacré

    Je me souviens des eaux profondes du Baïkal
    Immensité sacrée au milieu des montagnes
    J’y rencontrais alors Ana et ses axiomes
    Promettant de toujours se rappeler ces jous
    Disant « il n’y aura pas d’espace entre nous »

    Et maintenant je pense au Lac Titicaca
    Immensité sacrée au milieu des montagnes
    Je pleure l’échec salé d’une histoire avortée
    La belle équatorienne a laissé entre nous
    Un espace soudain, hostile, irréversible

    Je pleure l’échec salé de cette courte histoire
    Je m’en vais vers le sud, le Salaar d’Uyuni
    Immensité salée au milieu des montagnes
    J’espère qu’alors le sel, le vent et le soleil
    Saurons sécher mes larmes étonnées et amères


  • 22/04/2005

    Le Maître des Artesanos

    Au fin fond de l’épaisse forêt équatoriale
    Aux confins improbables d’une autre Bolivie
    Une cité antique taillée dans la roche mère
    Continue d’exister et d’abriter des hommes

    C’est là que vit le maître, c’est lui qui t’apprendra
    A travailler le fer, l’argent et les tissus
    A enfiler les perles pour en faire un collier
    A connaître des graines, les bonnes et les mauvaises

    Lorsqu’enfin du tissage, tous les secrets sauras
    Quand un bracelet pourras confectionner sans fautes
    Lorsque toutes les graines et perles connaîtras
    Le Maître te dira : « Volviste artesano
    Vas par le vaste monde pour vivre de ton art »


  • 22/04/2005

    Complétude

    J’ai traversé la jungle épaisse et ramifiée
    J’ai connu le désert ardent sous le soleil
    J’ai respiré sous l’eau l’oxygène en bouteilles
    J’ai respiré très haut l’oxygène raréfié

    Fuyant la jungle des villes tentaculaires
    De Mexico, La Paz ou Tegucigalpa
    J’ai contemplé le ciel rouge sur la rivière
    D’un village isolé d’oú l’on ne repart pas

    J’ai touché les pierres millénaires de Chavin
    J’ai vu le trou béant de Chuquicamata
    La planète saignait tout au fond de la mine
    J’ai mesuré la démesure de Panama

    J’ai découvert les mille et une saveurs nouvelles
    Des fruits équatoriaux aux si étranges couleurs
    J’ai goûté cent poissons pour mon plus grand bonheur
    J’ai même connu parfois ce qui donne des ailes

    J’ai volé au dessus de Teotihuacan
    J’ai vu dépasser de la jungle de Tikal
    Les pyramides antiques hautes et verticales
    Mais Machupicchu fut de loin le plus marquant

    J’ai dormi à la belle
    Dans mon hamac fidel
    J’ai dormi sous la tente
    Sous une pluie battante
    J’ai dormi sur le sable
    D’une plage admirable
    Dormir dans un camion
    Fut l'ultime chanson


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