15/07/2004
Teotihuacan, premier grand moment géantropique
Voici mon carnet
de notes, écrit sur le vif, recopié à mon retour à Toluca, mon actuel QG, chez
mes amis Roy et Mar, sans les croquis, sans les dessins, sans les calculs, et,
si possible, sans les fautes d’orthographe.
Mardi 13 juillet,
15h30
Teotihuacan
98° 50’ 45’’ / 19° 41’ 35’’ / 2320 m
Ca y est, j’y
suis. C’est beau, c’est immense. Comme en 80, comme en 2000. Je me suis mis un
peu à l’écart pour être à l’ombre et au calme, dans l’herbe, derrière l’endroit
appelé “Edifices Supérieurs”, à l’extrême ouest du site.
L’endroit est
imposant, rien à dire là-dessus. Je ressens la force du passé. Le passé
historique de l’humanité, qui se mêle à mon propre passé. Je vais rester un peu
ici, puis je continuerai l’exploration du site. Je dois aller dire bonjour aux
pyramides.
21h00
San Juan
Teotihuacan, hôtel La Cascada
Avec cette
journée qui s’achève, nous sommes entrés dans l’étape zéro du projet
“Géantropie en Amérique Latine” (voir d’ailleurs la page).
Le projet a désormais vraiment commencé. La visite de cet après midi fut très
enrichissante. Et avant d’y retourner demain, voici déjà, en vrac, mes
premières remarques géantropiques.
A Teotihuacan,
nous sommes bien au coeur des problématiques de la Géantropie: représentation
artistique de l’Espace, de la cosmogonie, espace sacré, espace singulier. La
cosmogonie de toute une civilisation disparue depuis plus de 12 siècles (je
parle de la ville de Teotihuacan uniquement) se retrouve dans l’architecture,
l’urbanisme, la sculpture, et la peinture (murale).
On voit dans
toute l’urbanisation du site, et dans chaque édifice en particulier, que les
quatre points cardinaux ont une influence décisive. L’allée des Morts est
orientée Nord – Sud. La pyramide du Soleil est à l’Est, celle de la Lune plein
Nord. Tous les bâtiments ont quatre côtés, toujours alignés sur les quatre
points cardinaux. Les sculptures ne sont pas en reste de “cardinalité”,
puisqu’au musée du site, nous est donnée l’occasion d’admirer de splendides
braseros, représentant l’Ancien Dieu du Feu, Huehueteotl, un être assis en
tailleur, portant une coupe sur sa tête. Bordant la coupe, on retrouve quatre
yeux, représentant les 4 directions fondamentales de l’univers, avec, au
centre, dans le brasero même, le feu central.
Les fresques
murales (ce qu’il en reste), sont splendides. On peu s’imaginer, en
extrapolant, la beauté du site il y a 1500 ans, lors de l’ère Xolalpan, lorsque
la ville était à son apogée commerciale et architecturale. A cette époque,
Teotihuacan comptait 80 000 habitants, s’étendait sur 20.5 km2, soit toute la
rive gauche de Paris (si on enlève le 15ème, qui, de toute façon, n’appartient
pas à Paris, hé hé, pardonnez moi pour cette pique hors sujet), et comportait
même un système de drainage. Sur ces fresques, on retrouve de nombreux
symboles, dont une grande part représentent des éléments de la cosmogonie.
Notamment, on voit souvent des étoiles à cinq branches, qui sont censées
représenter Vénus.
La représentation
spatiale s’exprime même dans la toponymie, puisque les deux édifices principaux
du site évoquent directement par leur nom même des éléments essentiels du
monde, le Soleil et la Lune, les deux astres qui gouvernent tous les
calendriers du monde, or, on sait à quel point cet élément est dote d’une
importance particulière dans la civilisation teotihuacane.
Pour rester dans
le sujet des pyramides, il faut ajouter qu’elles s’inscrivent parfaitement bien
dans le paysage. D’aucun disent même qu’elles adoptent la forme de la montagne
située derrière elle si l’on se place au sommet de l’autre, mais cette
affirmation est un peu exagérée. En réalité, la pyramide du soleil reprend
quelques aspects de la montagne située à l’horizon lorsqu’on se place au faîte
de la Lune, et encore plus, c’est vrai, si on se place au pied de la Lune. Mais
vu du sommet de la Pyramide du Soleil, la pyramide de la Lune, quant à elle,
est bien plus basse que la montagne qui la surplombe en arrière plan. En
revanche, si on se place dans l’Allée des Morts, à peu près au niveau de l’axe
de symétrie de la pyramide du Soleil, l’axe de symétrie de cette montagne se
superpose avec celui de la pyramide de la Lune, ce qui donne un résultat
frappant, et ajoute un peu plus au mysticisme du lieu.
D’une manière
plus globale, les deux édifices, bien qu’imposants, s’inscrivent parfaitement
dans le paysage. On comprends aisément qu’elles n’aient pas été détectées du
premier coup par la bande à Cortès, vu que le site était abandonné depuis plus
de 8 siècles, donc recouvert de végétation, notamment d’arbres sur les flancs
des deux pyramides, en attestent des gravures du 18ème siècle. On peut
facilement les prendre pour de petites montagnes, et ce, même sans la
végétation. Je me souviens d’ailleurs de la première fois que j’ai vu la
pyramide du Soleil, en 2000 (j’occulte 80, j’avais 3 ans, je n’ai que des flashs
de mémoire), j’ai sursauté, elle était juste devant moi, or, le site se trouve
dans une plaine, ce qui veut dire que normalement, on aurait du la détecter de
loin. Mais il y a tellement de petites collines de forme conique, à cause de
l’activité volcanique forte du secteur, qu’on a tendance à les prendre pour
telles. Elle me regardait, narquoise, du haut de ses 66 mètres, et disait:
“oui, c’est moi que tu cherches des yeux depuis tout à l’heure, je t’ai bien
eu, hein?”.
Enfin, nous
sommes bien, ici, dans la problématique de l’espace sacré. Le site a été
abandonné entre 750 et 850, mais les groupes qui ont suivi n’y ont pas touché,
le respectant, pensant qu’il était sacré. Qu’ont ils senti exactement? Il
serait intéressant de le savoir. Par ailleurs, il paraîtrait que le site est
investi par un million de baba cools et superstitieux de tous poils lors du solstice d'ete, car les ondes positives que le soleil envoie sur ce site atteindraient à ce moment là leur
maximum d’intensité. Le musée du site, ainsi que les guides sur Teotihuacan
n’évoquent rien à ce sujet. A confirmer, donc. Quant à moi, j’ai senti ce que
je décrivais tout à l’heure à propos du poids des passés collectifs et
personnels. Ma petite enfance en 80, # vingt ans plus tard, et l’impression de
fascination que le site exerce sur mon esprit. Ceci peut tout simplement venir
du gigantisme de toute cette affaire. La pyramide du Soleil est vraiment
immense, l’Allée des Morts mesure plusieurs kilomètres de longueur, et la ville
s’étendait sur une sacrée surface à son apogée.
Je remets à
demain ces réflexions, il est tard, et je ne veux pas rater l’ouverture du
site, à 7 heures demain matin, pour tenter de voir le soleil se lever sur la
pyramide qui le représente. Tout un symbole...
Mercredi 14
juillet, 8h30
Sommet de la
pyramide de la Lune, Teotihuacan
98° 50’ 38.2’’ / 19° 41’ 59.4’’ / 2365 m
Plus d’une heure
que j’arpente le site dans les trois dimensions, plus d’une heure de vie hors
du temps, de bonheur, d’instants inoubliables. Le site pour moi tout seul, ou
presque. Plus exactement, moi et un groupe d’indiens (a priori) venus faire une
cérémonie religieuse. Un prêtre, une prêtresse auxiliaire, et plusieurs femmes,
qui passaient à tour de rôle devant le binôme pour recevoir un nouveau statut,
via un protocole précis. Elles avançaient nus pieds, sur les pierres pointues
et encore froides de la nuit de la pyramide de la Lune. Le prêtre et son
auxiliaire se tenaient à mi hauteur du dernier escalier conduisant au faîte de
la Lune. Lui était vêtu d’un magnifique manteau blanc avec quelques motifs
rouges et bleus sur la partie haute du dos, et d’un jean. Elle, brandissait une
sorte de sceptre religieux, un bâton prolongé par de longues plumes d’oiseaux
rares. Le prêtre portait le fourreaux de cet objet en bandoulière. Une sorte de
cylindre de bois, creux, comme un didjeridoo, à tel point que j’ai cru que c’en
était un de loin, à prime abord. Ou un bâton de pluie. A la fin du processus
religieux, le prêtre posait une couronne de fleurs (en plastique) sur la tête
de la femme, et celle-ci descendait jusqu’au pied de la pyramide, toujours
pieds nus, laissant une autre, qui attendait au sommet, s’avancer à sa place.
Plus d’une heure,
presque une heure et demi que le site a ouvert. Pas de nouveaux visiteurs. Ce
groupe, et moi. Point. Je suis toujours seul sur le sommet de la Lune, et je
regarde l’Allée des Morts, immense et vide, s’étaler devant moi. Tout en bas,
le prêtre et la prêtresse s’éloignent doucement côte à côte, et rejoignent les
autres femmes qui les attendent plus loin. Sur le Soleil, en face, trois ou
quatre personnes, très certainement du même groupe. Les touristes ne sont pas
exactement matinaux.
Et durant tout ce
temps, les couleurs étaient incroyables, indescriptibles. J’ai bombardé au
numérique. Je pense en toute honnêteté que certains clichés vont cartonner (v.
les photos ici). Il y avait le levé du Soleil
(le site a malheureusement ouvert 20 minutes trop tard pour pouvoir voir
l’astre se lever depuis son piédestal), le brouillard, la végétation, les
pyramides dépourvues de touristes et très belles, très contrastées, avec des
parties à l’ombre, très sombres, et d’autres au soleil, dorées, éclatantes. Ah,
parfois, qu’il est bon de se lever vers six heures!!
Et je suis assis là,
tranquillement, et je regarde. La plus proche personne est à 200 mètres du pied
de la Lune, et en plus, elle s’éloigne. Pourtant, il est déjà 8h40!! Et le
silence, quelle paix. On entend les oiseaux chanter de toute part, et les
camions éternuer au loin. L’éclat intense de Venus, que j’ai pu admirer ce
matin à quelques encablures du fin croissant de la lune, et qui, d’ailleurs,
ressemblait fortement à une étoile à cinq branches, s’est éteint depuis
longtemps. Le soleil prend toute la place. On sent, malgré l’altitude, que la
journée sera chaude. Devant moi, légèrement à droite, à un cap de l’ordre de
200 – 250 degrés, Mexico dégage son haleine fétide, son smog, qui bloque la
visibilité à une dizaine de kilomètres seulement. Dire que de là oú je suis
assis, jadis, on discernait certainement le Popo et l’Ixtalcihuatl, les deux
géants enneigés qui gardaient le Sud Est de Tenochtitlan, devenue ensuite
Mexico city. Plus jamais cela ne peut se reproduire. Entre eux et moi, maintenant,
il y a la plus grande ville du monde.
Le site dégage
réellement quelque chose de sacré. De toute façon, j’ai réfléchi, cette nuit,
entre deux moustiques: si j’y retourne pour la troisième fois en 24 ans, alors
que c’est si loin de Paris, plus loin encore qu’Angkor, ce n’est certainement
pas pour rien. Quelque chose d’incompréhensible m’attire ici. Et la cérémonie
que j’ai vu tantôt avait tout à fait sa place ici.
Une petite
précision: les axes du site (Allée des Morts et axe de symétrie de la pyramide
du Soleil) ne sont pas exactement alignés sur les quatre points cardinaux, Il y
a un léger décalage angulaire. L’alignement Nord – Sud serait plus à chercher
du côté de l’axe entre les pyramides elles-mêmes.
Ici figure
normalement un schéma, et la démonstration mathématique, basée sur trois
relevés GPS, un au sommet de la Lune (point L), un au sommet du Soleil (point
S), et un à l’intersection de l’axe du site (l’Allée des Morts) avec l’axe de
symétrie de la pyramide du Soleil, qu’on appellera point I. La démonstration
prouve que le décalage en longitude entre L et S est inférieur à l’incertitude
de mesure du GPS, et qu’il est de 180 mètres entre L et I, alors qu’il devrait
être nul. Pour confirmer, il existe un décalage en latitude entre S et I, de 70
mètres environ, alors que là encore, il devrait être nul. L’alignement entre L
et S sur l’axe Nord - Sud est donc presque parfait. Est-ce voulu, ou est-ce dú
au hasard? Est-ce connu?
Ce qui m’a mis la
puce à l’oreille fut la conjoncture de deux évènements:
Hier, j’étais
posté loin à l’est du site, marchant pour tenter de digérer l’affreux repas que
je venais d’ingurgiter dans la gargote oú j’avais dîné, et j’ai vu le soleil se
coucher quasiment dans l’axe, derrière la pyramide du Soleil, alors que j’étais
précisément au niveau de son axe de symétrie, c’est à dire à priori l’axe Est –
Ouest. Je me suis dit: “tiens, tiens, c’est étrange, le soleil se couche
exactement à l’Ouest, or, nous ne sommes pas du tout à l’équinoxe. A creuser”.
Et ce matin,
attendant que le site ouvre, j’ai vu le coquin se lever, après une bonne nuit
de sommeil. Frais et éclatant, et respectant la règle de l’été, en apparaissant
bien au delà de ce pseudo axe Est – Ouest, vers le Nord. Je me suis donc dit
que cet axe N’ETAIT PAS exactement l’axe Est –Ouest. Les relevés GPS ne font
que confirmer ce que j’ai pu observer avec le soleil.
Suit ici,
normalement, un schéma qui aide à comprendre ce que je veux dire, parce que je
suis conscient que mes explications ne sont pas très claires.
A peine après
avoir fini de dessiner ce schéma qu’un Cessna survole le site!!! Argggghh!!! En
plus, il ne se gène pas. Il a quasiment fait une verticale Lune, à 1000 pieds
sol. Pendant ce temps là, un premier groupe de gringos est arrivé au sommet. Je
les entends parler du nez, c’est comme cela que j’en déduis qu’ils sont
américains, parce que, comme d’habitude, je ne comprends pas une goutte de ce
qu’ils disent. Ils ne pourraient pas parler anglais, comme tout le monde, non!!
Le Cessna a fait un seul passage. Une ou deux minutes de plaisir intense. Lui,
en tout cas, il était certainement en infraction.
Je vais
redescendre, et rejeter un coup d’oeil au musée. Ah!! Comme c’est beau, tout
ça, je ne veux pas redescendre! Enfin, si, à cause des gringos d’à côté qui
braillent.
10h00
A côté du musée
du site, Teotihuacan
Dur de décoller.
Je fais une pause, assis à une table au soleil, avec un coca (oui, je sais !!
Mais je n’ai pas pris de petit déjeuner et j’avais besoin de sucre), à côté du
musée. Je veux y faire un tour, pour dessiner encore des statues et des objets,
et je veux regarder les bouquins dans la boutique, voir, si par hasard, il n’y
aurait pas un guide qui m’intéresserait, notamment avec des explications sur la
déviation angulaire, qui m’intrigue beaucoup. Je voudrais aussi me promener
encore et encore sur le site. Mais Mar m’attend vers 14h – 15h. Il faut compter
3h30 de bus et de métro pour rentrer. J’ai encore un peu de temps.
L’ensemble
boutique, musée, toilettes, administration, tables en pierre et parasols
ressemble beaucoup à une aire d’autoroute du sud de la France. Ils ont même mis
des cactus, pour faire plus ressemblant encore...
19h20
Toluca, dans la
maison de Roy et Mar
99° 37’ 46’’ / 19° 16’ 31’’ / 2649 m
Finalement, le
musée était fermé pour maintenance, j’ai bien fait de le visiter hier. Je ferai
mes dessins au musée d’Anthropologie de Mexico, qui est, pour le moment, le
plus beau et le plus fort musée qu’il m’ait été donné de visiter dans ma vie.
Je dois y retourner cette année, c’est obligatoire pour la géantropie, et en
plus, j’ai très envie de le revoir. J’irai après demain, je pense.
Quant au problème
de la déviation angulaire, il est en partie résolu. Un panneau rencontré sur
l’Allée des Morts explique qu’il y a 15 degrés 21’ de déviation vers l’Est pour
que l’axe soit orienté sur le Nord Astronomique. Il ne me reste plus qu’à
chercher sur Internet ce qu’est ce mystérieux Nord dont je n’avais encore
jamais entendu parler.
A suivre…
Pour conclure
avec cet épisode, j’ai été enchanté de ces deux jours d’escapade à Teotihuacan.
Ce lieu doit être vu dans les conditions dans lesquelles je l’ai vu (hier à la
fermeture, et ce matin, au levé du soleil, quand il n’y a pas encore l’invasion
des pèlerins quotidiens).
A bientôt
Teotihuacan! En principe, je devrais faire dans quelques jours la même chose
que ce qu’a fait le pilote du Cessna ce matin. Je le raconterai, bien
évidemment.
Voir les photos de Teotihuacan.