Un rêve
au bout du rail




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Anapa et La Disparition (de l'hiver et de nos rêves...)

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Serge : Nous parvenons au terme de notre première destination russe avec quelques ratés. Pour commencer, les péripéties qui suivirent l'histoire du taxi et du train manqué ont épuisé notre bonne humeur. Nous arrivons chez les parents de Victor dans des dispositions plutôt " ronchonnes ". Deuxième raté, qui n'arrange pas les choses : Raïssa, la mère, a un problème dentaire assez grave et extrêmement douloureux.

Le dernier raté, non des moindres, concerne la " voiture " de Valera, le père, qui est une fois de plus en panne. Nous resterons autour d'Anapa tous ces jours, et devrons renoncer à voir les montagnes russes de nos fantasmes. Aller voir le Caucase en transports en commun, y rester un jour ou deux, et en revenir, le tout en quatre ou cinq jours relèverait de la mission impossible. Ce projet était pourtant le moteur, la raison principale de notre petit détour de deux mille kilomètres entre l'Europe et Moscou. Nous nous serions organisés autrement, si, dès le départ, nous avions su que Raïssa était malade, et que la Volga de Valera ne nous permettrait pas d'accéder à une nature un peu plus sauvage.

Forcément, quelques regrets surgissent.

Lara : Pour l'instant, la Russie nous montre un visage plutôt grisouille et déprimant : les villes sont polluées, sales, hostiles. La neige a fondu, et avec elle toute la magie hivernale que nous espérions trouver durant ce voyage. Le quartier ici hésite entre chantier et terrain vague, comme une chrysalide arrêtée en pleine mutation. Une seule certitude dans ce paysage : Gazprom a tout envahi de sa toile ramifiée de tuyaux jaunes. " Le gaz à tous les coins de rue " est une vraie révolution, accueillie à bras ouverts par les habitants. Et on peut le comprendre... Mais quel avenir pour ces infrastructures dangereuses et laides, pensées à court terme selon une logique de consommation débridée d'hydrocarbures ? Bah, après Gazprom, le déluge !

Anapa est une agglomération modeste qui reste encore à l'échelle humaine. Ses racines de ville portuaire et balnéaire remontent à l'Antiquité : la Mer Noire a toujours été un carrefour d'échanges important et un lieu où l'hiver se faisait plus clément. Aujourd'hui, elle n'échappe pas à la pression touristique et immobilière venue de Sotchi.

Plus loin, derrière les collines calcaires qui plongent vers la mer, s'étend un horizon de riches terres agricoles : le Tchernozium, ou " terre noire ", ce fameux humus qui a fait la puissance de la Grande Russie. L'or noir d'avant l'or noir.

Victor arrive le jour même de notre arrivée, depuis Moscou, pour trois jours, en avion. Père et fils nous montrent la région. Nous visitions des amas lunaires d'argile froide faisant des rots dans une sorte de cratère étrange. Lieu à la fois beau, hostile et curieux, où il doit certainement faire bon patauger en été, mais certainement pas fait pour s'y baigner en février. La Mer Noire argentée est bordée d'agréables collines où la végétation méditerranéenne abrite de petites plantes rares que nous aurions manquées si Valera ne nous les avait pas indiquées, avec un sourire émerveillé. Nous embrassons des landes desséchées par les vents, le long de côtes lagunaires relativement préservées et ramassons quelques coquillages, récolte imprévue d'un voyage qui était pensé initialement pour gambader dans la neige au milieu des troïkas. Victor nous fait le cadeau de nous enseigner ses " zariadki ", exercices matinaux à mi-chemin entre la gymnastique et le yoga, qui font beaucoup de bien. Ces exercices viennent enrichir la valise des bonnes surprises de ce voyage.

Victor repart à Moscou. Raïssa va mieux, mais je dois prendre le relais pour continuer à traduire les flots de paroles de Valera qui sait tout et a tout vu, tout vécu ainsi que les flots de questions de Lara à propos des plantes. Je n'en ai pas toujours la force. Je sens mes forces morales décliner, je réalise peu à peu que je suis dans une Russie que je ne connais pas, ou que je ne reconnais plus. Le russe ne revient plus aussi facilement que les précédentes fois. Les rêves tombent les uns après les autres, et m'entraînent dans leur chute. Je ne sais plus quoi faire, et Lara veut comprendre pourquoi j'ai voulu que notre voyage de noces se fasse ici. Réaliser qu'il n'y a pas forcément de réponse à cette question m'enfonce un peu plus. Nous avions des rêves, nous les avons projetés sans retenue sur ce pays, sur ce voyage, sur cette région, et cette saison. Le sauna russe, la chaleur humaine, la nature sauvage, l'hiver rigoureux et étincelant... Tout vole en éclats. Il va falloir comprendre, et trouver les clés du royaume de la sérénité malgré tout, de la joie en dépit de ces petites désillusions qui deviennent, pour nous, des terribles montagnes, au milieu du labyrinthe formé par les conduites de gaz qui sillonnent tout ce qui contient des maisons dans tout le pays.

Nos hôtes nous chouchoutent. Valera, le père de Victor, a une connaissance fascinante de la flore locale et des propriétés thérapeutiques des plantes. Chaque ballade est une occasion pour nous d'en apprendre un peu plus à ce sujet. Je bois ses paroles (ou plutôt les traductions qu'arrivent à m'en faire Serge et Victor). Ces moments-là sont jubilatoires et très motivants. A notre retour, Raïssa, la mère de Victor, nous régale de blinis dégoulinants de miel et autres plats russes diététiques.

Pourtant, j'ai le cœur triste.

Pour l'instant, je ne comprends pas. Je ne comprends pas la fascination de Serge pour ce pays, cette culture. Je ne comprends pas où est passé l'enthousiasme qui se dégageait de ses récits du Transsibérien, de ses souvenirs racontés qui m'avaient tant donné envie de partir avec lui découvrir SA Russie. Je suis déçue et un peu déboussolée : le rêve au bout du rail aurait-il disparu ?





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