Lara : Cette fois, c'est le départ, le vrai. Nous prenons place dans un beau TER tout neuf, plein à craquer, avec le cafouillage SNCF habituel au décollage. On s'en fout. On est juste tellement heureux de partir ! Tout ça a un goût délicieux... Premiers cahots, premières lignes de chemin de fer, premières lignes d'écriture aussi.
Serge : Assis, enfin. Posés. Installés, amoureux, complices, stressés par inertie mais en voie de détente. Le train s'ébranle à l'instant, exactement en même temps qu'un TGV. Nous nous embrassons, topons dans la main, heureux de concrétiser enfin ce voyage.
Au royaume de la Géantropie... les escargots sont rois ! Il fait nuit. Nous venons de dépasser Bellegarde, et le paysage autour de nous se réduit à quelques éclairages publics. Je réalise pour la première fois, à quel point les voyages sont devenus synonymes de vitesse, et à quel point j'ai soif de lenteur, soif de " vivre au raz du terrain ".
Nous avons refusé l'avion qui représente pour nous une dette inacceptable en émissions de CO2. C'est une évidence à nos yeux, un choix. Mais refuser l'avion, c'est aussi une façon de redonner leur juste place au temps et à la distance : " loin ", c'est loin. L'espace reprend ici toute sa réalité, que notre soif immodérée de mobilité cherche constamment à effacer. Et puis, quel plaisir de goûter cet apprivoisement progressif du dépaysement ! Pas de baguette magique instantanée, mais une lente métamorphose des paysages et des habitudes. Quel " gradient culturel " allons nous remonter, de Lyon à Moscou ? Ça commence en tout cas par un retour à Genève.
Genève arrive à nous, chargée de souvenirs. À peine sortis de la gare, nous retrouvons le tram genevois et tous ces petits détails qui annoncent qu'on a bel et bien passé une frontière (décoration, bruits différents... ). Le quartier de la rue de Carouge où nous hébergent Philippe et Salvadora n'a pas changé. Un certain calme imprègne ici l'espace public. Quelque chose comme la traduction corporelle et psychologique de ce délicieux accent suisse.
La silhouette du Salève se devine à l'horizon, noyée dans les brumes lémanesques où pollution et brouillard rivalisent de grisaille. Mais aujourd'hui, même cette grisaille me fait un clin d'œil amical.
Philippe et Salvadora nous reçoivent royalement. Ils nous offrent un voyage dans le voyage. La destination est principalement gustative : nous sommes plongés au Nicaragua et chez ses voisins. Ceviche de poisson cru mariné dans le jus de citron vert pimenté, mangue, gâteaux de coco, rhum Flor de Caña 12 ans d'age, tortillas de mais... Téléportation immédiate vers un cap diamétralement opposé à celui des harengs, des blinis et de la vodka. C'est aussi ça la mondialisation.
Au passage du train, le bâtiment Serono nous salue de son gigantisme de verre et d'acier. Souveniiiiir. Et dire que j'avais presque oublié la Grande Cage !
Nous longeons le lac Leman. Genève disparaît, puis c'est bientôt Lausanne, et les vignes, en pente raide, qui plongent vers l'eau. Le paysage est un dosage équilibré entre le mignon et le grandiose. La Suisse dans toute sa splendeur...
Le train bifurque ensuite vers le Nord, vers Bern et ses usines. Bien que très urbanisée dans ses plaines et ses vallées, la Suisse nous montre son éternel visage propret, où tout a l'air nickel, en apparence... C'est oublier ce que contiennent les lacs dans leurs eaux profondes, les cheminées de Bern dans leurs émanations profondes, les banques dans leurs coffres profonds, et certains habitants, dans leurs pensées profondes...
La Suisse défile à toute allure. Au passage, nous apercevons les trois Géants de l'Oberland qui gardent la porte du royaume des Glaces (clin d'œil à notre WE de noces). Ça y est, nous avons quitté l'espace francophone. On a rendez-vous avec le prochain panneau français dans trois semaines à Strasbourg.
Nous entrons en Germanophonie pour quelques heures. C'est Lara qui va prendre en charge les échanges avec les gens. Je prendrai la main en Russophonie, après la Hongrie.
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